Ce qui m’inquiète un peu, c’est de voir que j’ai peu à peu transféré mon attachement à mes possessions matérielles, et surtout les fruits de mon travail et de mes activités – mes tableaux, mes livres (ceux que j’ai écrits et ceux que j’ai lus et étudiés) et mes dossiers – à mon attachement aux formes numériques de ces fruits. Car j’ai toujours eu la forte sensation que je suis ce que j’ai fait dans ma vie. Ce n’est probablement pas une identification très sage, si j’en crois les maîtres spirituels. Mais je ne semble pas beaucoup progresser vers le détachement et la désidentification. Ainsi, j’ai l’impression qu’au lieu de trouver un usage pratique à mon iPad, il est en train de devenir une petite image virtuelle de moi qui contient, sous une forme claire, intelligible et facilement accessible, l’essence de ce que j’ai fait – écrit, peint, lu, appris, enseigné – dans ma vie.

Je suis en train de créer une œuvre d’art total, un petit clone de moi-même, qui n’est malheureu­sement accessible qu’à moi, puisqu’il faut mon empreinte digitale pour déverrouiller cet iPad. L’obsession paranoïaque de la sécurité qui domine toutes les fonctionnalités de ces petits appareils est d’ailleurs inquiétante. Ce serait un autre sujet à développer. Peut-être que pour moi, le rôle de cet iPad n’est pas un usage pratique, mais simplement un sujet d’observation, de réflexion, d’inspiration… puisque ces petits appareils mobiles, les tablettes et les smart phones, sont en train de devenir le compagnon prioritaire de la plupart des êtres humains sur cette planète. Et je pense que pour pleinement comprendre ce phénomène de société, cet aspect essentiel de la vie actuelle, il faut en posséder un. Je suis content de découvrir que même si je ne m’en sers que peu, la présence et l’exploration de cet iPad vont me permettre de mieux comprendre ma vie, et la vie, afin d’en tirer, et d’en exprimer, la quintessence.

21 février 2016, Chiang Mai