Désenchantement
Le temps s’est réchauffé, mais mon état d’âme est resté morose toute la semaine. Je me suis aussi senti très fatigué, et n’ai pas eu l’énergie d’entreprendre mes projets créatifs. Un état de désenchantement profond où toute activité me semblait futile et inutile. Pendant une journée, je n’ai pas ouvert mon ordinateur, sans parler de l’iPad, qui est depuis une semaine dans un tiroir. J’ai relu le chapitre où Éric Baret* dit que cette tristesse sans cause est l’émotion suprême, le pressentiment qu’aucune situation, aucun projet, dans le monde phénoménal, ne peut nous apporter la satisfaction. Cette justification de ma léthargie n’a pas arrangé mon état, pas plus que sa contemplation. Surtout que je sais que c’est dans l’activité que je trouve mon énergie et ma joie intérieure, même si j’accomplis des tâches inutiles ou poursuis des buts utopiques. Ces périodes mélancoliques reviennent régulièrement, je les connais bien. Je me rassure en me disant qu’elles sont la gestation de la créativité, et accepte sans trop d’impatience de me laisser engloutir dans leur présence pesante et glauque.
J’ai trouvé une distraction temporaire dans le lecture des nouvelles revues : La faute à Rousseau (la revue de l’APA), le Magazine littéraire, le Chan Magazine.
Dans mon désespoir, j’ai tiré le Yi Jing*, ce qui m’arrive de plus en plus rarement, pour savoir ce qu’il serait favorable que j’entreprenne. « Adversité » pour la peinture ; l’écriture et l’étude de l’ennéagramme* semblent plus favorables, mais il faut encore attendre. Depuis hier, je me sens mieux, j’ai de nouveau un peu d’énergie, et j’ai repris mon rangement informatique ; ce besoin d’ordre compulsif revient régulièrement lui aussi, mais il me semble que c’est une manière d’éclaircir mon environnement, quand il devient trop sombre. Pour l’ennéagramme, je n’ai pas encore la concentration et l’acuité mentale nécessaires. Pour l’écriture, je songe à ce que je pourrais écrire : reprendre un projet en cours ou en commencer un nouveau. Je suis inspiré par le numéro de La faute à Rousseau sur La nature, qui était plus présente dans mon Journal quand j’écrivais sur la plage de Tahiti, ou en voyage. Mais j’aime toujours l’idée d’intercaler des visions de la nature, ou de l’environnement extérieur, parmi mes pensées philosophiques ou les variations de mon paysage intérieur. Je pensais à mes visions quand je me promène le soir dans le quartier, quand je vais faire mes courses ou que je descends en ville, même si elles sont souvent plus urbaines que bucoliques.
J’avais l’idée de faire des photos, une forme de carnet de croquis, peut-être pour trouver une utilité à mon iPad. Mais c’est laborieux et trop littéral. J’ai renoncé à la photo depuis longtemps, je ne vais pas m’y remettre. Et ce serait une activité de plus, et une nouvelle accumulation, alors que je m’efforce de diminuer, de dissoudre, de simplifier. Plutôt un carnet de mots. Reprendre l’idée des mots, qui revient dans mes notes depuis plusieurs années : le mot sujet, le mot clé, le mot comme essence ou quintessence. Une écriture qui devient mots plutôt que phrases, visuelle plus que descriptive, poétique au lieu de romanesque…
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui, parce que c’est laborieux, je cherche mes mots, sans parler des idées… l’inspiration n’a pas encore retrouvé sa fluidité spontanée… mais j’ai au moins écrit quelque chose : c’est mieux que rien !
* Baret (Éric) (né en 1953) : disciple de Jean Klein, Éric Baret enseigne le shivaïsme tantrique du Cachemire. Il est devenu un de mes principaux maîtres spirituels depuis notre rencontre en 2002.
* Yi Jing (chinois) : littér. le classique des changements. Il s’agit du Livre des mutations, un des classiques de la culture chinoise qui décrit 64 situations types représentées par des hexagrammes. Le Yi Jing est un livre de sagesse que les Chinois utilisent depuis plus de trois mille ans comme oracle. Les noms des hexagrammes ainsi les textes du jugement et des lignes mentionnés sont empruntés à la traduction littérale de Cyrille Javary (Yi Jing, le livre des changements, de Cyrille Javary et Pierre Faure).
* Ennéagramme : système d’étude de la personnalité humaine introduit en Occident par Gurdjieff au début du 20e siècle. Il décrit neuf types de caractère dont les liens sont représentés par les côtés d’un diagramme polygonal à neuf sommets appelé ennéagramme.
6 mars 2016, Chiang Mai